Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans

Nous sommes dans une Nouvelle Orléans encore sous le choc du traumatisme Katrina. Dans ce décor de désolation, l'inspecteur Terence McDonagh a un programme plutôt chargé ...

Résoudre une sordide affaire de meurtre ; sauver sa compagne, une prostituée, des mains de clients violents ; se protéger de la police des polices qui a des soupçons sur ses méthodes ; trouver de l’argent pour éponger ses dettes ; et obtenir de la drogue pour sa consommation …

Tout ceci ne lui laisse que peu le temps de souffler, et lorsqu’il avoue, au détour d’une séquence, n’avoir dormi qu’1h30 en trois nuits, on n’a pas vraiment de mal à le croire. Ne pas s’y tromper : ce nouveau Bad Lieutenant n’a que peu à voir avec celui, éponyme, sorti en 1993. Werner Herzog n’a pas ici signé un remake du film d’Abel Ferrara, il lui a en réalité simplement emprunté son personnage de flic écorché vif, drogué, toujours à deux doigts du pétage de plombs, pour lui faire vivre une nouvelle aventure. Les amateurs du grand cinéaste Allemand ne doivent pas, eux non plus, s’y tromper : ils ne retrouveront pas ici la grandiloquence tragique d’ Aguirre la colère de Dieu. Non, ce qu’a fait Herzog ici… ressemblerait plutôt à une bonne grosse blague. Les séquences improbables s’enchaînent, des visions hallucinées sous drogue cotoient d’autres scènes de pure comédie. Gardant un filon d’intrigue policière pour soutenir l’attention, le film se permet d’aller un peu partout où il le souhaite : la critique sociale ironique, le thriller musclé, ou encore la grosse parodie. Herzog a décidé de se lâcher, et il ne fait pas les choses à moitié.

Cela rend t-il son film inintéressant ? Certainement pas, bien au contraire. D’abord parce qu’une bonne grosse blague peut être hyper plaisante à regarder, quand elle est réalisée par un auteur qui maîtrise totalement l’outil cinéma, le cadrage, la lumière, et qui sait utiliser au maximum le potentiel déglingué de ses acteurs. Mais aussi parce qu’une bonne grosse blague peut avoir une profondeur, quand elle est signée d’un artiste pour qui l’humour est franchement la politesse du désespoir. Herzog filme en effet un monde où la drogue et l'humour sont les seuls exutoires pour survivre à une réalité, bien montrée : celle des habitants de la Nouvelle Orléans post-Katrina. C'est toute cette galerie de caractères que va croiser le héros au cours de son enquête : ce prisonnier baignant dans la flotte que tout le monde a oublié, ce jeune gamin qui subsiste en faisant le livreur et en subissant la loi de la rue et de l'omerta, cette prostituée contrainte d’encaisser les coups de mauvais coucheurs pour gagner sa vie, cette femme décrépie qui noie son ennui dans la bière... Impossible de tenir là-dedans sans prendre une distance, et c'est cette distance que filme Herzog. Si tout ceci ressemble à une blague, ce n’est pas pour le seul plaisir de faire grimacer un Nicolas Cage génial de démesure, mais bien par besoin de désamorcer un mal de vivre difficilement soutenable.

Difficile de dire à chaud si ce Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans est un film majeur… on serait tenté d’y voir avant tout, encore une fois, une bonne grosse blague, et pas une œuvre dont on garde des choses fortes. Mais les bonnes grosses blagues qui réussissent à exprimer, sans trop y toucher, un tel vertige existentiel sont rares… Une bonne raison pour ne pas manquer celle-là.

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