Sous le rideau de douche ...

La douche du matin, ce moment qui nous est si cher. A vous, à moi, à nous tous. Un instant fragile avec soi, son corps et ses vérités. Bien à l'abri du regard d'autrui sous un rideau de douche que l'on s'imagine comme le cocon qui enveloppe notre crue nudité, celle du corps sans les carapaces de la mode, de l'allure, des gadgets ou du simple apparat. Ce n'est pas tout à fait la même chose, dans un sens, que de poser pour l'artiste des beaux arts. La toilette et sa charge émotionnelle positive nous plonge aussi dans un état subtil où le ressourcement se fait par les eaux comme l'esprit.

Et si on allait jeter un œil derrière ce voile de pudeur ? Soulever ce rideau de douche La Redoute qui s'échine mollement à faire barrage entre nous et le monde. C'est le projet de la camarade artiste Manjari Sharma : une invitation à pousser la curiosité sans voyeurisme. A découvrir des visages sous la douche, des fragments de corps, capturés l'instant d'une photographie.

Loin des clichés de psychose, l'artiste d'origine indienne a invité des inconnus à venir prendre une douche dans sa salle de bain à New-York. Cet espace alors transformé en studio photo lui a permis de faire des rencontres totalement surréalistes, les plus désarmantes qu'elle aie jamais pu nouer avec des gens dans ce pays, selon sa formule. On veut bien la croire sur parole.

De très beaux clichés riches en émotions humaines, qui nous plongent dans mille réflexions sur nos corps, le rapport à l'intimité, le regard des autres, les bulles de savon, l'attrait des rideaux de douche vendus sur catalogue ... Avec une sobriété pleine de retenue, les jeux d'ombres et de lumières mettent en valeur les regards, les lignes contrastées de quelques courbes timides.

Le secret de ses photos où la crainte d'être vu s'efface avec la complicité d'une confiance en l'autre, c'est aussi l'eau chaude. C'est ce que raconte l'artiste, qui brave aussi sa culture pieuse en capturant ainsi les silhouettes dénudées de ses contemporains. Un projet qui n'est pas sans nous rappeler (mais si, souvenez-vous) la création/performance artistique Rain du camarade photographe Nicolas Dumont, qui avait fait poser ses modèles sous la douche, mais entièrement habillés ! Dans les deux cas, les concepts que voilà nous questionnent pas mal sur la notion de cocoon, dans une ère où les soins cosmétiques nous sont présentés comme une source de bonheur pur. A l'abri de quelles angoisses ?